L’art-thérapie contemporaine ©, poétiser le symptôme…




L’art-thérapie contemporaine ©, poétiser le symptôme…
Après une longue expérience en psychiatrie, le psychologue Jean-Pierre Royol a élaboré l’art-thérapie contemporaine©, une méthode qui favorise la créativité sans viser la production d’une oeuvre ou d’un objet et exclut toute forme d’interprétation. Explications.

Comment avez-vous cheminé pour élaborer l’art-thérapie contemporaine ?

L’art-thérapie contemporaine (ATC) © est une méthode de soin de support, qui propose de dépasser les difficultés personnelles par la créativité. Je l’ai conceptualisée et développée non sans un travail de deuil intérieur, car elle est venue remettre en cause certaines habitudes de pensée contractées sur les bancs de l’Université. L’ATC© n’est en rien liée à un effet de mode et refuse d’assurer une fonction de vitrine ou parfois de masque à des pratiques institutionnelles. En se démarquant de toute forme d’instrumentalisation de l’art au service d’une norme sanitaire ou comportementale, elle est le produit d’une lente maturation théorique et psychique irriguée par une longue expérience clinique hospitalière dans le champ de la psychiatrie et de la prison. J’ai tracé des repères cartographiques précis pour éviter la confusion courante avec d’autres pratiques d’art-thérapie, comme la médiation artistique ou encore l’animation d’ateliers d’expression. Ces dernières activités peuvent d’ailleurs très bien cohabiter avec l’art-thérapie contemporaine au sein d’un même établissement, car les enjeux sont structurellement différents.

Quelles sont les différences avec l’art-thérapie « classique » ?

La différence la plus déconcertante au premier abord est que cette méthode n’est pas orientée vers la production d’un objet ou d’une oeuvre : elle s’est en effet libérée des contraintes classiques de la représentation, ce qui lui permet aussi de résister aux injonctions commerciales sur le modèle de l’évaluation muséologique, de production ou d’exposition. Elle choisit donc de se tenir en marge du traitement « habituel » paradoxal des productions de patients, c’est-à-dire soit la destruction la plus morbide, dont la presse s’est fait l’écho (1), soit la publicisation mondaine des bateleurs de l’intime, qui soulève actuellement des questions éthiques fondamentales (2), comme celle des droits d’auteurs et des éventuels ayant-droits. L’ATC© se refuse ainsi à toute exposition des traces d’une rencontre intime ou pire, à leur gélification dans la nudité d’une vérité arithmétique. Elle évite par ailleurs de se limiter au champ des interrelations imaginaires « entre petits autres », pratique qui conduit toujours le professionnel, et ce au nom de la bienveillance ou de l’empathie, à se mettre à la place de l’autre qui, du même coup, perd la sienne. Concrètement, l’ATC© se déroule en toute modestie à partir de dispositifs éphémères, de mises en scène et de bricolages ludiques qui permettent d’épouser la variabilité et l’instabilité des phénomènes transférentiels, sans les paralyser en une réalité contraire à leur consistance fantasmatique. Ainsi, ces dispositifs tiennent de l’art contemporain sa vocation provisoire, visant une forme de dématérialisation au profit d’une logique de relation en phase avec la réalité transitoire des mouvements psychiques. Toute forme d’interprétation en est exclue, pour ne pas encombrer l’expression fantasmatique du patient par des projections du professionnel qui ne peut les lire que dans les limites de son Moi. S’il y a travail groupal, une proposition individuelle s’adresse à chaque patient, pour tenter de contrer la tendance naturelle des groupes à dissoudre la singularité.

Quels sont les intérêts spécifiques de cette approche pour le patient ?

Tout d’abord, le patient saisit progressivement qu’il n’est pas considéré par l’art-thérapeute comme assujetti à une commande sociale.
Cet écart permet une respiration nouvelle, dans la mesure où le sujet prend conscience qu’il n’appartient pas à l’institution et peut ainsi se démarquer d’une sorte de fantasme collectif et d’une série d’idéaux qui le plus souvent lui sont étrangers. Des institutions comme des Ehpad et des services hospitaliers font avec nous ce pari qui demande peu de moyens et présente l’avantage de s’appuyer sur une éthique de la discrétion capable de s’inscrire dans une démarche visant en priorité la bientraitance. L’intérêt pour le patient est aussi d’entrer en relation avec un professionnel pour qui son symptôme n’est pas une proie. Le soignant va plutôt le conduire à poétiser ce symptôme qui lui appartient et à le faire vivre en dehors de l’institution, lieu qui doit toujours être pensé pour être quitté. À l’art-thérapeute de créer, en se détachant de toute forme de réduction esthético-normative, les conditions pour permettre au sujet de s’autoriser des poussées désirantes subversives et libératrices vers la « vraie vie ». La vraie vie est ailleurs qu’en art-thérapie, ailleurs qu’en institution, dans une autre tribu, « la tribu du sujet »…

1– Quand un atelier ferme, que deviennnent les oeuvres ? Blog de J. Couzinet, Mediapart, https://urlz.fr/eCW2. – 8000 oeuvres d’art réalisées à l’hôpital de Maison-Blanche menacées par la destruction, site Art-therapievirtus, https://urlz.fr/eCW4

2– Créés en milieu psychiatrique : des objets en instance ? Journées de Printemps 2019 de la SFPE-AT 23, 24 et 25 mai 2019, www.epsm-al.fr


Jean-Pierre ROYOL

Aauteur de plusieurs ouvrages sur l’ATC© chez  Profacom éditions :
– Art-thérapie. Quand l’inaccessible est toile
– Art-thérapie. Au fil de l’éphémère
– Art-thérapie. Le souffle du neutre
 

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